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Ps 1,2 Sa Loi

jeudi 7 octobre 2010, par Frère Paul

Le Pentateuque de David

On peut s’étonner de ce que le Ps 1 recommande la récitation non du psautier, auquel il introduit, mais de la Torah :

TM

2 כִּי אִם בְּתוֹרַת ה׳ חֶפְצוֹ. וּבְתוֹרָתוֹ יֶהְגֶּה יוֹמָם וָלָיְלָה.

TF 2 ... mais dont le désir est dans la Torah du Seigneur et qui murmure sa Torah jour et nuit !
VL 2 Sed in lege Domini fuit voluntas eius, et in lege eius meditabitur die ac nocte.

De fait, si le mot Torah — par opposition au français « loi » ou au latin « lex » — ne relève pas d’abord ni principalement du domaine juridique mais recouvre des sens variés (« direction », « leçon », « enseignement », « rituel » [1]), l’expression תּוֹרַת ה׳ « Loi du Seigneur » renvoie sans équivoque à tout ou partie du Pentateuque [2]. On la retrouve dans les Ps 19 et 119, parfois appelés « psaumes de la Torah ». Le Ps 1 voudrait-il nous détourner du Psautier ? Ce serait invraisemblable ! Comment comprendre alors ce verset ? Pour nourrir notre réflexion, je proposerai deux interprétations, l’une rabbinique, l’autre patristique.

Interprétation rabbinique

אָמַר ר׳ יוּדָן וּבְתוֹרַת ה׳ אֵין כְּתִב כָּאן, אֶלָּא וּבְתוֹרָתוֹ, שֶׁאִם יָגַעְתָּ בָּהּ, נִקְרֵאת עַל שִׁמְךָ, כְּגוֹן מִשְׁנָתוֹ שֶׁל ר׳ חִיָּא, וּמִשְׁנָתוֹ שֶׁל ר׳ הוֹשַׁעְיָא, וְשֶׁל בַּר קַפָּרָא וְכַיּוֹצֵא בָּהֶן. וְלָמָּה נִקְרֵאת עַל שְׁמָן, לְפִי שֶׁיָּגְעוּ בָּהּ. תֵּדָע לְךָ שֶׁכֶּן הוּא, שֶׁהָרֵי הַתּוֹרָה שֶׁל הקב״ה, שֶׁנֶּאֱמַר (תה׳ יט ה) תּוֹרַת יְהוָה תְּמִימָה. וְעָלָה מֹשֶה לַמָּרוֹם, וְעָשָׂה שָׁם אַרְבָּעִים יוֹם וְאַרְבָּעִם לַיְלָה [וְנָתַן נַפְשׁוֹ עָלֶיהָ]. לְפִיכָךְ נִקְרֵאת עַל שְׁמוֹ, שֶׁנֶאֱמַר (מלאכי ג כב) זִכְרוּ תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּי.

Rabbi Yudan dit : il n’est pas écrit ici et [qui murmure] la Torah du Seigneur mais et [qui murmure] sa Torah. Car s’il se donne de la peine [à l’étude], elle est appelée de son nom, comme [il est d’usage de dire] la mishnah de R. Ḥiya, la mishnah de R. Hosha‘ya ou de Bar Qapara. Et pourquoi est-elle appelée de leur nom ? Parce qu’ils se sont donné de la peine à l’étude. Tu peux t’en assurer : en effet, au sujet de la Torah du Saint béni soit-il, il est dit : (Ps 19,5) La Torah du Seigneur est intègre. Moïse gravit la hauteur, passe là quarante jours et quarante nuits, [s’y appliquant de toute son âme], et voilà qu’elle est elle appelée de son nom, comme il est dit : (Malachie 3,22) Souvenez-vous de la Torah de Moïse mon serviteur !

Le midrash Shoḥer Tov part du constat suivant : le premier stique du v. 2 [3] parle de la Loi du Seigneur, le deuxième de sa Loi. Si le possessif « sa » renvoie au Seigneur, le verset se répète — il est redondant. Or, grammaticalement parlant, il y a une alternative, car le suffixe possessif peut tout aussi bien renvoyer à [l’homme] qui murmure. De plus, comme le montre l’argumentation de R. Yudan, il n’y a rien d’inconvenant à parler de la Torah d’un tel homme : « s’il a peiné [dans l’étude de la Torah], il mérite qu’elle soit appelée de son nom. »

זֹאת תּוֹרַת אַבְרָהָם יִצְחָק וְיַעֲקֹב אֵין כְּתִב כָּאן, אֶלָּא זֹאת תּוֹרַת הָאָדָם. וּמִי הוּא הַמְּשֻׁבָּח שֶׁבַּנְּבִיאִם וְהַמְּשֻׁבָּח שֶׁבַּמְּלָכִים. הַמְּשֻׁבָּח שֶׁבַּנְּבִיאִם זֶה מֹשֶׁה, שֶׁנֶּאֱמַר (שמות יט ג) וּמֹשֶׁה עָלָה אֶל-הָאֱלֹהִים. הַמְּשֻׁבָּח שֶׁבַמְלָכִים, זֶהוּ דָוִד. אַתְּ מוֹצֵא כָּל מָה שֶׁעָשָׂה מֹשֶׁה עָשָׁה דָוִד. מֹשֶה הוֹצִיא אֶת יִשְׂרָאֵל מִמִּצְרַיִם, וְדָוִד הוֹצִיא אֶת יִשְׂרָאֵל מִשִּׁעְבּוּד מַלְכוּיוֹת. מֹשֶה עָשָׂה מִלְחָמָה בְּסִיחוֹן וְעוֹג, וְדָוִד עָשָׂה מִלְחָמָה כָּל סְבִיבָיו, שֶׁנֶאֱמַר (ש׳׳א כה כח) כִּי-מִלְחֲמוֹת ה׳ אלהים (הוּא) נִלְחָם. מֹשֶה מָלַךְ עַל יִשְׂרָאֵל וְעַל יְהוּדָה שֶׁנֶּאֱמַר (דב׳ לג ה) וַיְהִי בִישֻׁרוּן מֶלֶךְ בְּהִתְאַסֵּף רָאשֵׁי עָם, וְדָוִד מָלַךְ עַל יִשְׂרָאֵל וְעַל יְהוּדָה. מֹשֶה קָרַע לְיִשְׂרָאֵל אֶת הַיָּם, וְדָוִד קָרַע לְיִשְׂרָאֵל אֶת הַנְּהָרוֹת, שֶׁנֶּאֱמַר (תה׳ ס ב) בְּהַצּוֹתוֹ אֶת אֲרַם נַהֲרַיִם. מֹשֶה בָּנָה מִזְבֵּחַ, וְדָוִד בָּנָה מִזְבֵּחַ. זֶה הִקְרִב, וְזֶה הִקְרִב. מֹשֶה נָתַן חֲמִשָּׁה חֻמָּשֵׁי תּוֹרָה לְיִשְׂרָאֵל, וְדָוִד נָתַן חֲמִשָּׁה סְפָרִים שֶׁבַּתְּהִלִּים לְיִשְׂרָאֵל, (תה׳ א) אַשְׁרֵי הָאִישׁ, (תה׳ מב) לַמְנַצֵּחַ מַשְׂכִּיל, (תה׳ עג) מִזְמוֹר לְאָסָף, (תה׳ צ) תְּפִלָּה לְמֹשֶׁה, (תה׳ קז)יֹאמְרוּ גְּאוּלֵי יְהוָה. מֹשֶה בֵּרַךְ אֶת יִשְׁרָאֵל בְאַשְׁרֶיךָ, וְדָוִד בֵּרַךְ אֶת יִשְׁרָאֵל בְּאַשְׁרֵי.

Il n’est pas écrit : Telle est la Torah d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais Telle est la Torah de l’homme. Qui est le prophète par excellence et qui, le roi par excellence ? Le prophète par excellence, c’est Moïse, car il est dit : (Ex 19,3) Moïse monta vers le Seigneur. Le roi par excellence, c’est David. [Or] tu trouves que tout ce Moïse a fait, David l’a fait. Moïse a fait sortir Israël d’Égypte, David l’a fait sortir de la servitude des grandes puissances. Moïse a fait la guerre à Siḥon et Og, David l’a faite à tous [les peuples] environnants, comme il est dit : (1 S 25,28) [il] a combattu les guerres du Seigneur Dieu. Moïse a régné sur Israël et sur Juda, comme il est dit : (Dt 33,5) Il y eut un roi en Yeshûrûn [4] quand les chefs du peuple se réunissaient, David a régné sur Israël et sur Juda. Moïse a fendu la mer pour Israël, David a fendu les fleuves pour Israël, comme il est dit : (Ps 60,2) lorsqu’il combattit Aram des deux fleuves. Moïse a bâti un autel, David a bâti un autel ; celui-là a sacrifié, celui-ci a sacrifié. Moïse a donné les cinq cinquièmes de la Torah à Israël, David a donné les cinq livres dont [se composent] les Louanges à Israël : [le 1er commence au] Ps 1 Heureux ; [le 2nd au] Ps 42 Du chef de chœur, maskil ; [le 3e au] Ps 73 Psaume d’Asaf ; [le 4e au] Ps 90 Prière de Moïse ; [le 5e au] Ps 107 Ils diront, les rachetés du Seigneur. Moïse a béni Israël par Heureux et David a béni Israël par Heureux.

A vrai dire, le raisonnement précédent valait essentiellement pour Moïse. Pour pouvoir l’appliquer à David, le midrash développe une argumentation typologique basée sur 2 S 7,19 Telle est la Torah de l’homme. L’homme-type, en rapport avec la Torah, c’est Moïse, comme on l’a vu plus haut, plus que les patriarches Abraham, Isaac ou Jacob. De fait, l’expression courante « Torah de Moïse » est superposable à l’expression « Torah de l’homme ». Mais si Moïse est le prophète-type, David est le roi-type. Toute l’argumentation du midrash consiste à montrer l’intime correspondance entre ces deux figures : « tout ce que Moïse a fait, David l’a fait ». Or, cette correspondance s’étend à leurs écrits, puisque tant le Pentateuque que le Livre des Louanges comptent cinq parties [5] et sont porteurs d’une bénédiction. Entre la Torah de Moïse et le Livre des Psaumes — Torah de David ? — se laisse par conséquent découvrir une mystérieuse homologie.

Interprétation patristique

Sed in lege Domini fuit voluntas eius, et in lege eius meditabitur die ac nocte. Iusto non est lex posita, ut dicit Apostolus ; sed aliud est esse in lege, aliud sub lege : qui est in lege, secundum legem agit ; qui est sub lege, secundum legem agitur. Ille ergo liber est, iste servus. Deinde aliud est lex quae scribitur, et imponitur servienti ; aliud lex quae mente conspicitur, ab eo qui non indiget litteris. La loi n’est pas établie pour le juste, comme dit l’Apôtre (1 Tm 1,9). Mais autre chose est d’être dans la Loi, autre chose d’être sous la Loi : celui qui est dans la Loi se conduit selon la Loi, celui qui est sous la Loi est conduit selon la Loi. Donc, le premier est libre, l’autre esclave. Ensuite, autre chose est la Loi qui est écrite et imposée à celui qui la subit, autre chose la Loi appréhendée par l’âme de celui qui n’a pas besoin de la lettre.

Augustin, de son côté, a une raison supplémentaire de buter sur le verset : la polémique de l’apôtre Paul contre l’observance des préceptes rituels de la Torah (ici rappelée par la citation de 1 Tm 1,9). C’est pourtant chez Paul qu’il trouve de quoi rebondir.

D’après l’apôtre, celui qui croit au Christ n’est plus sub lege « sous la Loi », mais sub gratia « sous la grâce » [6]. Augustin reprend la formule sub lege, mais déplace l’opposition sur la préposition : au couple lex/gratia, il substitue le couple sub/in : ainsi, in lege « dans la Loi », devient l’équivalent fonctionnel de sub gratia « sous la grâce ». Cette astuce grammaticale permet de sauver une vérité essentielle, à savoir que la liberté chrétienne n’implique pas le rejet du Pentateuque : in lege meditabitur, sub gratia.

Conclusion

Rabbi Yudan et saint Augustin, chacun selon sa foi, nous invitent à réfléchir sur la double mention de la Torah dans le Ps 1, verset 2. L’un — R. Yudan — montre que le livre de David a une parenté de forme et de fond avec celui de Moïse. L’autre — Saint Augustin — nous engage à creuser dans la Loi pour y trouver la source vive de la louange. Le premier argumente à partir du suffixe possessif de l’expression וּבְתוֹרָתוֹ, le second à partir de la préposition préfixée בְ (en latin : in) de la même expression.

Ainsi, d’un côté comme de l’autre, méditer la Torah jour et nuit n’implique pas de refermer le Psautier ; d’une part, parce que la louange n’est pas extrinsèque, mais in-trinsèque à la Torah ; d’autre part, parce que la Torah n’a pas été donnée à l’homme pour lui rester extérieure au sens d’une pure hétéronomie, mais bien pour devenir sienne par l’étude et la louange.

Portfolio

Psautier polyglotte - Hébreu - Latin
Psautier polyglotte
Hébreu - Latin

Notes

[1] L’étymologie du mot תורה est douteuse : il se rattache soit à la racine I ירה « tirer », « jeter », soit à II ירה « enseigner », cf. Köhler – Baumgartner – Richardson, The Hebrew and Aramaic lexicon of the Old Testament, ad. loc..

[2] C’est-à-dire à une loi divine, écrite, censée connue de tous, cf. Ex 13,9 où il est question des phylactères : Ce sera pour toi un signe sur ta main et un rappel entre tes yeux, de sorte que la Loi du Seigneur soit dans ta bouche ; Jr 8,8 Comment pouvez-vous dire : Nous sommes sages, la Loi du Seigneur est avec nous ! C’est bien pour le mensonge que s’est mis à l’œuvre le stylet mensonger des scribes !

[3] En poésie hébraïque, chaque verset comporte une, deux ou trois césures majeures, souvent marquées dans les traductions par des retours à la ligne. Chaque sous-unité est appelée « stique », du grec στίχος « rangée », « ligne d’écriture ». Un verset comptant deux stiques est appelé distique, etc. Cf. le mot français « hémistiche ».

[4] Nom symbolique du peuple de Dieu, formé sur la racine ישר « être droit ».

[5] Chaque série de psaumes se termine par une doxologie, du genre : (Ps 41,14) Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, depuis toujours et pour toujours. Amen et amen !

[6] Cf. Rm 6,14.15 ; Ga 5,18.

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