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Ps 1,1 Aller, se tenir debout, s’asseoir

dimanche 24 octobre 2010, par Frère Paul

Le Ps 1 débute par une définition triplement négative : est déclaré Heureux l’homme qui ne va pas (dans le conseil des impies), qui ne se tient pas (dans la voie des pécheurs) et qui ne siège pas (TM avec les railleurs, VL dans la chaire de pestilence). Curieuse béatitude qui sonne comme une mise en garde...

Pour comprendre le sens de ce verset, nous pouvons une fois de plus nous mettre à l’école de l’exégèse rabbinique, puis de l’exégèse patristique.

S’arrêter sur la pente (Midrash Shoḥer Tov)

אָמַר ר׳ שִׁמְעוֹן בֵּן פַּזִּי וְכִי מֵאַחַר שֶׁלֹּא הָלַךְ הֵיכָן עָמַד, וּמֵאַחַר שֶׁלֹּא עָמַד הֵיכָן יָשַב, וּמֵאַחַר שֶׁלֹּא יָשַב הֵיכָן לָץ. אֶלָּא לוֹמַר לְךָ שֶׁאִם הָלַךְ סוֹפוֹ לַעֲמֹד, וְאִם עָמַד סוֹפוֹ לֵישֵׁב, וְאִם יָשַׁב סוֹפוֹ לָלוּץ, וְאִם לָץ הַכָּתוּב אוֹמֵר עָלָיו (מש׳ ט יב) (אִם-חָכַמְתָּ, חָכַמְתָּ לָּךְ), וְלַצְתָּ, לְבַדְּךָ תִשָּׂא. וְשָׁנוּ רַבּוֹתֵינוּ מִצְוָה גּוֹרֶרֶת מִצְוָה, עֲבֵרָה גּוֹרֶרֶת עֲבֵרָה. וְכִי שֶׁלֹּא הָלַךְ וְלֹא עָמַד וְלֹא יָשַב וְלֹא לָץ, יָכוֹל לֹא יַעֲשֶׂה לֹא טוֹבָה וְלֺא רָעָה, אֶלָּא יָשִׂם יָד לְפֶה. וְתַלְמוּד לוֹמַר כִּי אִם בְּתוֹרַת ה׳ חֶפְצוֹ. אָמַר ר׳ בֶּרֶכְיָה כְּתִיב (קה׳ ז יז) אַל-תִּרְשַׁע הַרְבֵּה. הָא צִבְחַר לִירְשַׁע , אֶלָּא אִם הִרְשַׁעְתָּ אַל תּוֹסֵף.

Rabbi Shimon ben Pazi dit : mais puisqu’il n’est pas allé, comment se serait-il tenu, et puisqu’il ne s’est pas tenu, comment se serait-il assis, et puisqu’il ne s’est pas assis, comment aurait-il raillé ? Mais c’est pour t’enseigner que s’il va, il finira par se tenir, et que s’il se tient, il finira par s’asseoir, et que s’il s’assoit, il finira par railler, et que s’il raille, l’Écriture dit de lui : (Pr 9,12) si tu railles, toi seul en porteras la peine. Nos maîtres ont enseigné : la mitsvah entraîne la mitsvah, la transgression entraîne la transgression. Mais s’il n’est pas allé, ne s’est pas tenu, ne s’est pas assis et n’a pas raillé, est-il possible qu’il ne fasse ni bien ni mal, mais reste coi ? [Non, car] il faut lire [1] : mais dont le désir est dans la Torah du Seigneur. R. Berekhyah enseigne : il est écrit (Qo 7,17) Ne fais pas beaucoup le mal. Est-il permis de le faire un peu ? [Non, bien sûr,] mais si tu as fait le mal, ne recommence pas.

Le midrash voit dans la succession des verbes s’en aller, se tenir, s’asseoir l’expression du principe énoncé par Ben Azaï dans le traité Abot 4, mishnah 2 : Une mitsvah entraîne une mitsvah, une transgression entraîne une transgression, car le salaire [de l’accomplissement] d’une mitsvah, c’est une mitvah, et le salaire d’une transgression, une transgression. Faire ce qui est mal, c’est mettre le doigt dans l’engrenage du mal. Quant à s’abstenir du bien et du mal, c’est impossible ; notre psaume l’enseigne : la seule alternative au mal, c’est l’étude de la Torah.

Un bref enseignement de Rabbi Berekhyah vient adoucir le propos : à partir de Qo 7,17 on montre qu’il est possible, au début du moins, de s’arrêter sur la pente du mal.

A la croisée des chemins (Augustin, Enarratio in Ps 1)

Considerandus est ordo verborum : abiit, stetit, sedit. Abiit enim ille, cum recessit a Deo ; stetit, cum delectatus est peccato ; sedit cum in sua superbia confirmatus redire non potuit, nisi per eum liberatus qui neque abiit in consilio impiorum nec in uia peccatorum stetit nec in cathedra pestilentiae sedit. Il faut ensuite considérer l’ordre des verbes : s’en aller, se tenir, s’asseoir. De fait, [l’homme] s’en est allé quand il s’est soustrait à Dieu ; il s’est tenu quand il a pris plaisir au péché ; il s’est assis quand, établi dans son orgueil, il n’a pu revenir, si ce n’est libéré par celui qui n’est ni allé dans le conseil des impies, ni ne s’est tenu dans la voie des pécheurs, ni ne s’est assis dans la chaire de pestilence.

Augustin aussi voit une progression dans les trois verbes s’en aller, se tenir, s’asseoir, mais sa perspective est plus dogmatique : au fond, c’est la condition de l’homme pécheur que ce mouvement décrit. On reconnaît ici en filigrane le récit de la chute (Gn 3) : Adam et sa femme se sont dévoyés lorsqu’ils ont prêté l’oreille au conseil du serpent, que Gn 3,1 présente comme étant plus sage ou le plus prudent de tous les animaux de la terre (Gn 3,1 VL sapientior omnibus pecoribus / prudentissimus omnium bestiarum quae sunt super terram). Ils se sont ensuite tenus, c’est-à-dire fixés sur l’objet défendu, lorsqu’ils ont pris plaisir au mal, cf. Gn 3,6 la femme vit que l’arbre était bon à manger et beau à voir (VL vidit mulier quia bonum lignum ad escam et decorum ad apectum). Si bien que, pour finir, ils ont perdu toute possibilité de revenir à leur état premier : à l’expulsion du jardin d’Eden (Gn 3,23-24) correspond la session dans la chaire de pestilence, symbole du péché et de la mort [2].

Selon cette interprétation, Heureux l’homme désigne le Christ, nouvel Adam, venu dans le monde pour sauver les pécheurs que nous sommes... et nous entraîner à sa suite.

Conclusion

Le livre des Louanges est bien le messager du bonheur : Heureux l’homme... mais c’est à nous qu’il est destiné, à nous qui sommes pécheurs. D’emblée, nous voilà ébranlés dans notre « bonne conscience » et remis devant l’exigence de la Teshuvah / conversion.

Les Sages disent : étudie la Torah, mets-la en pratique et loue le Seigneur, pour t’extraire de l’engrenage du mal. Les Pères de l’Église disent : laisse-toi rejoindre par le Dieu fait homme, seul saint, innocent, sans souillure, qui vient te libérer. Mais chez les uns comme chez les autres, c’est du Seigneur seul que vient le salut.

Notes

[1] תלמוד לומר, sur le sens de cette expression, cf. Jastrow, תלמוד b) derivation from Biblical intimations.

[2] Cf. Ps 106,10 VL où il est question des hommes assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort (sedentes in tenebris & umbra mortis) ; Is 9,1 et Mt 4,16.

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