Abbaye de La Trappe Abbaye de La Trappe
Accueil du site > Spiritualité > Bible > Ps 8,1 Pour les pressoirs

Ps 8,1 Pour les pressoirs

mercredi 13 avril 2011, par Frère Paul

A première lecture, le Ps 8 a rapport à l’homme et à la place « moyenne » qu’il occupe dans le cosmos : au-dessous du ciel, mais au-dessus des animaux. Le tout, soulevé par un élan de foi et de reconnaissance en Dieu créateur et providence : Qu’il est grand ton Nom par tout l’univers ! C’est magnifique et déjà inépuisable. Toutefois, une anomalie dans le titre signale un autre niveau d’interprétation :

In finem, pro torcularibus, psalmus ipsi David. Pour la fin, pour les pressoirs [1], psaume de David lui-même.

Ce psaume, qu’on associerait spontanément à la Genèse, est déclaré pour la fin. Comment comprendre ?

L’allégorie chrétienne : du raisin au vin

Saint Augustin nous propose de partir de l’idée de pressoirs (pour la fin, pour les pressoirs) dans laquelle il voit d’abord une métaphore des Églises. S’il faut qu’en elles le marc (les méchants) et le vin (les bons) soient pour l’instant mêlés, le vin sera à la fin mis au cellier (le ciel), et le marc jeté dehors (en enfer). Mais il ajoute aussitôt :

2. Est alius de torcularibus intellectus, dum tamen ab ecclesiarum significatione non recedatur. Nam et Verbum divinum potest uva intellegi ; dictus est enim et Dominus botrus uvae, quem ligno suspensum, de terra promissionis, qui praemissi erant a populo Israel, tamquam crucifixum attulerunt (cf. Num 13,23). Verbum itaque divinum, cum enuntiationis necessitate usurpat vocis sonum, quo in aures pervehatur audientium, eodem sono vocis tamquam vinaciis, intellectus tamquam vinum includitur : et sic uva ista in aures venit, quasi in calcatoria torculariorum. Ibi enim discernitur, ut sonus usque ad aures valeat ; intellectus autem memoria eorum qui audiunt, velut quodam lacu excipiatur, inde transeat in morum disciplinam et habitum mentis, tamquam de lacu in cellas in quibus, si neglegentia non acuerit, vetustate firmabitur. Acuit namque in Iudaeis, et hoc aceto 3 Dominum potaverunt (cf. Io 19,29). Nam illud vinum quod de generatione vitis Novi Testamenti bibiturus est cum sanctis suis Dominus in regno Patris sui (cf. Lc 22,18), suavissimum atque firmissimum sit necesse est. 2. « Pressoirs » peut s’entendre autrement, sans pour autant s’écarter de la signification d’Églises. Car on peut aussi voir dans le raisin le Verbe divin : c’est bien du Seigneur qu’il est question dans la grappe de raisin que les éclaireurs envoyés en avant du peuple d’Israël rapportèrent de la terre promise, suspendue au bois, comme crucifiée (cf. Nb 13,23). Aussi lorsque le Verbe divin, se pliant à l’énonciation, emprunte une forme sonore pour parvenir aux oreilles des auditeurs, le sens est inclus dans cette forme sonore comme le vin dans le moût ; et ce raisin entre dans l’oreille comme dans un fouloir. Car il s’y opère un tri, de sorte que le son n’aille pas plus loin que l’oreille, mais que le sens soit recueilli par la mémoire comme dans une sorte de cuve, et passe de là dans la discipline des mœurs et les façons de penser, comme de la cuve aux chais où, s’il ne s’aigrit pas par négligence, il gagne en robustesse avec l’âge. De fait, il s’est aigri en certains juifs qui ont abreuvé le Seigneur de vinaigre (Jn 19,29) ; mais le produit de la vigne de l’Alliance nouvelle que le Seigneur boira avec ses saints dans le royaume de son Père (cf. Lc 22,18) sera nécessairement très doux et très robuste.

Dans cette deuxième interprétation particulièrement complexe, le raisin est le Verbe de Dieu, les pressoirs sont à la fois la Croix et... les auditeurs. En effet, le Christ, Verbe de Dieu a été pendu au bois comme une grappe pressée (cf. Nb 23,23) – et le sang a jailli de son côté transpercé. Mais le Christ, Verbe de Dieu, se communique aussi par les Écritures ; les raisins sont alors les mots et les phrases qu’il faut broyer pour en extraire le sens.

A s’en tenir aux mots et aux phrases qui le composent, notre psaume ne parle pas du Christ, pire : si l’on retient ce « pour la fin, pour les pressoirs », il ne fait pas sens. La lecture chrétienne consistera à le broyer et à le confier à sa mémoire ; pas n’importe laquelle, mais celle où s’élabore, dans l’Esprit Saint, la vraie connaissance (cf. Jn 14,26 [L’Esprit Saint] vous enseignera toute chose et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit).

Alors, tout peut s’éclairer : au v. 6 par exemple, l’homme abaissé un peu au-dessous des anges puis couronné de gloire, n’est autre que le Christ dans sa passion et sa résurrection, selon ce qui est dit dans la lettre aux Hébreux 2,8-9 : celui qui a été fait un peu inférieur aux anges, Jésus, nous le voyons couronné de gloire et d’honneur, à cause de la mort qu’il a soufferte. Au v. 3 les enfants, les nourrissons sont les néophytes, dont l’apôtre Pierre dit : (1P 2,2) comme des enfants nouveau-nés, aspirez au lait non frelaté de la Parole, etc... Au sein même de la lettre, l’Esprit déploie ses mille harmoniques.

Les vignerons mystiques

Toutes les Écritures parlent du Christ : n’est-ce pas une évidence pour quiconque croit que Jésus-Christ est le Verbe, la Parole de Dieu ? Encore faut-il prendre le temps et la peine de les lire spirituellement, c’est-à-dire d’en fouler les mots dans le souvenir vivant de Pâques. Que nul baptisé ne se croie dispensé de ce travail : au lieu de communier au Christ et de s’enivrer (sobrement) de lui, il finirait fatalement par l’abreuver de vinaigre.

Notes

[1] Nos traductions modernes se bornent souvent à transcrire l’hébreu עַל־הַגִּתִּית « sur la guittith », en conjecturant qu’il s’agit d’un instrument ou d’une mélodie « à la mode de Gat (nom de ville) ». La Vieille Latine et la Vulgate, de leur côté, reflètent une antique tradition exégétique juive attestée dans la Septante (Εἰς τὸ τέλος, ὑπὲρ τῶν ληνῶν) et le midrash, assimilant גִּתִּית à גַּת « cuve à fouler, pressoir ».

Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Nous contacter | Crédits Remonter