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Ps 4,1 Quand je crie, réponds-moi

lundi 23 mai 2011, par Frère Paul

Une chose bizarre, dans la grammaire du Psaume 4, c’est le bref changement de personne au milieu : la prière commence à la 1ère personne du singulier : (v. 1-2) Au chef des chantres, avec accompagnement d’instruments à cordes. Psaume de David. Quand j’appelle, réponds-moi, Dieu de ma justice !, finit à la 1ère pers. du singulier : (v. 9) En paix, je me couche et m’endors ; car toi, ô Seigneur, même dans l’isolement, tu me fais demeurer en sécurité, mais comporte au v. 7 un verbe à la 2e pers. du pluriel : (v. 7) Beaucoup disent : Qui nous fera voir le bonheur ? — Fais lever sur nous la lumière de ta face, ô seigneur ! Comment s’en sort le midrash ?

Rappel du texte (Ps 4,1-2)

לַמְנַצֵּחַ בִּנְגִינוֹת מִזְמוֹר לְדָוִד. בְּקָרְאִי עֲנֵנִי אֱלֹהֵי צִדְקִי בַּצָּר הִרְחַבְתָּ לִּי, חָנֵּנִי וּשְׁמַע תְּפִלָּתִי.

Au chef des chantres, avec accompagnement d’instruments à cordes . Psaume de David. Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice ! Dans la détresse tu me mets au large ; sois-moi favorable, écoute ma prière !

Midrash Shoḥer Tov [1]

ר׳ יְהוּדָה אוֹמֶר, כָּל מָה שֶׁאָמַר דָוִד כְּנֶגְדוֹ וּכְנֶגֶד כָּל יִשְׂרָאֵל. אָמַר, אֱלֹהֵי צִדְקִי עָלֵיךָ לְצַדְּקֵנִי שֶׁאֲנִי מִשֶּׁבֶט יְהוּדָה, וּלְךָ רָאוּי לִשְׁמֹעַ לְקוֹל תְּפִילָתִי, שֶׁנֶאֱמַר (דב׳ לג ז) שְׁמַע ה׳ קוֹל יְהוּדָה וְאֶל-עַמּוֹ תְּבִיאֶנּוּ. רַבָּנָן אָמְרוּ, אָמְרָה כְּנֶסֶת יִשְׁרָאֵל לִפְנֵי הקב׳׳ה בְּקָרְאִי, עֲנֵנִי אֱלֹהֵי צִדְקִי, עָלֵיךָ לְצַדְּקֵנִי, אִם אֵין בִּי זְכוּת עֲשֶׂה עִמָּנוּ צְדָקָה. אָמַר ר׳ יְהוֹשֻׁעַ בֶּן לֵוִי, לְפִי שֶׁאָמַר דָוִד, (תה׳ ג ה) קוֹלִי אֶל-יְהוָה אֶקְרָא וַיַּעֲנֵנִי מֵהַר קָדְשׁוֹ, אֵין לִי אֶלָּא בְּשָׁעָה שֶׁהוּא בָּנוּי, כְּשֶׁהוּא חָרֵב מִנַּיִן. תַּלְמוּד לוֹמַר, בְּקָרְאִי עֲנֵנִי.

Rabbi Yehuda enseigne : Tout ce qu’a dit David, il l’a dit pour lui-même et pour tout Israël. Il a dit : Dieu de ma justice, tu dois me rendre justice, car je suis de la tribu de Juda et qu’il te sied d’écouter la voix de ma prière, car il est dit : (Dt 33,7) Écoute, Seigneur, la voix de Juda, en l’associant à son peuple. Nos Maîtres enseignent : l’assemblée d’Israël dit devant le Saint béni soit-il : Quand je crie, réponds-moi, Dieu de ma justice : tu dois me rendre justice ; s’il n’y a pas en moi de mérite, fais nous miséricorde ! R. Yehoshua ben Levi enseigne : de ce qu’a dit [précédemment] David (Ps 3,5) A pleine voix, je crie vers le Seigneur : Il me répond de sa montagne sainte, je le savais pour le temps où [le Temple] était bâti. [Pour le temps] où il est détruit, d’où [le sais-je] ? Aussi l’Écriture précise : Quand je crie, réponds-moi.

Supplication de David, supplication du peuple

Rabbi Yehuda répond : « Tout ce qu’a dit David, il l’a dit pour lui-même et pour tout Israël ». Même si le Ps 4 était écrit tout entier au singulier, il conviendrait aussi au peuple. Pourquoi ? Ce n’est pas d’abord que le roi « représente » le peuple : ici, David n’est pas en majesté. Dans « son » livre, il apparaît le plus souvent en position de faiblesse : traqué par Saül, dénoncé, contraint de simuler la folie (Ps 52 ; 54 ; 56 etc.), convaincu d’adultère et d’homicide (Ps 51), fuyant devant son fils rebelle (Ps 3) ; on ne l’imagine pas du tout se pavaner et dire : « Israël, c’est moi ». Si David peut parler pour lui-même et pour le peuple, c’est par le mérite de son ancêtre Juda et en vertu de la bénédiction prononcée sur sa tribu par Moïse (Dt 33,7) : Écoute, Seigneur, la voix de Juda, en l’associant à son peuple. Ces mots définissent en quelque sorte les rôles de Dieu, de la lignée royale de Juda et du peuple dans l’économie du salut.

Faut-il « bien mériter » pour être exaucé ?

Un autre aspect de la question concerne le mérite du suppliant : à supposer qu’un homme d’exception puisse invoquer Dieu sous le vocable Dieu de ma justice [2] ; cela n’est-il pas interdit au peuple ? Le peuple n’est-il pas le « tout venant », le médiocre par définition ? Mais le psaume ajoute : (fin du v. 2) חָנֵּנִי וּשְׁמַע תְּפִלָּתִי prends-pitié et écoute ma prière, autrement dit : « Si nous ne pouvons invoquer nos mérites, fais-nous miséricorde ». Le midrash pointe ici un fait de langue hautement significatif, à savoir qu’en hébreu le mot צְדָקָה, litt. « œuvre de justice », en est venu à désigner les « œuvres de miséricorde (ou de charité) » [3].

Que vaut la prière sans le Temple ?

Yehoshua ben Levi tire parti d’un apparent doublet Ps 3,5 // Ps 4,2 pour clarifier un dernier problème : en dépit de la destruction du Temple de Jérusalem (la montagne sainte) et de la cessation des sacrifices, Dieu ne cesse pas d’écouter et d’exaucer les supplications d’Israël. Voilà pourquoi le Ps 4,2 dit réponds-moi tout court, sans préciser de lieu.

Conclusion

Que veut nous dire ce midrash à trois voix (R. Yehuda, nos Maîtres, R. Yehoshua ben Levi) ? Que nous devons oser prier. Que nous devons oser appeler. Que nous devons oser crier vers Dieu. David n’a écrit ces mots de feu que pour que nous les fassions nôtres. La merveille, c’est qu’ils constituent par eux-mêmes une réponse, un don miséricordieux : quand Dieu nous donne les mots pour le prier, déjà il nous rend justes.

Notes

[1] Ed. Buber, Vilna, repr. photomécanique, Jérusalem, 1977.

[2] Cf. Soncino, BJ, Nouvelle Segond, etc. Autre propositions : Dieu de mon salut (Rabbinat) ; Dieu, ma justice (TOB, psautier œcuménique). Mettre une virgule entre Dieu et ma justice revient à considérer l’état construit אלהי צדקי comme une pure apposition, ce qui est grammaticalement possible, cf. Joüon-Muraoka, § 129r.

[3] Cf. Mekhilta Yitro sur Ex 18,20 : loger les sans-abri, visiter les malades, assurer aux morts un enterrement décent, rendre le bien pour le bien et « faire plus que ce qui est rigoureusement prescrit » לִפְנִים מִשּׁוּרַת הַדִּין.

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