On a reproché au Ps 1 sa naïveté : il y aurait d’un côté les justes qui réussiraient dans la vie, et de l’autre les méchants, dont les projets échoueraient. C’est la « doctrine de la rétribution » dans sa formulation la plus caricaturale. Le midrash Shoḥer Tov soulève, à propos du v. 6, deux cas extrêmement intéressants qui devraient nous permettre d’aller plus loin :

Léah, victime des apparences

Si le psaume prend la peine de dire que Dieu connaît le chemin des justes, c’est que cette connaissance ne va pas de soi. Ainsi en va-t-il de Léah, première femme de Jacob. On sait que Laban, après avoir promis à Jacob sa fille cadette Rachel, lui avait frauduleusement donné Léah, l’aînée. Or le texte dit plus loin que Jacob haïssait Léah. Logiquement, le midrash rapproche ces deux faits : Jacob en voulait à Léah de s’être tue et d’avoir fait le jeu de son père lors de la nuit de noces. Or, Léah avait vraisemblablement de bonnes raisons pour cela : en vertu des règles du mariage, si Jacob ne l’épousait pas, elle reviendrait à son frère Esaü – « Esaü l’impie » – qu’elle priait pour ne pas épouser [1]. En outre, la polygamie était admise aux temps des patriarches et Léah ne doutait pas que Jacob ne finisse par obtenir aussi Rachel, ce qui advint en effet. Loin de se plier bêtement à son père, elle avait donc saisi l’opportunité comme venant de dieu. Dans ces conditions, Gn 29,31 s’éclaire : Dieu favorise Léah, injustement méprisée des hommes, pour faire éclater son bon droit.

Balaam, pervers sous un masque de respectabilité

Le cas de Balaam est inverse : ce devin coupable d’avoir fait tomber les Israélites dans la prostitution et l’idolâtrie [2], paraît de prime abord intègre. Sa réponse aux envoyés de Balaq, roi de Madiân (je ne pourrais en aucune façon contrevenir à l’ordre du Seigneur) a l’air d’une fin de non recevoir. Mais elle n’en a que l’air : le caractère insistant de Nb 25,12 (Tu n’iras pas avec eux ; tu ne maudiras pas ce peuple, car il est béni) suggère « en creux » une obstination perverse. La réécriture du verset sous forme dialoguée, procédé midrashique typique, montre que Balaam fait dire à Dieu le contraire de ce qu’Il dit, et va jusqu’à travestir une malédiction en bénédiction.

Conclusion : la prévenance de Dieu

Le midrash nous invite à dépasser une lecture simpliste et manichéenne du Ps 1. D’abord, parce qu’il faut se méfier des apparences : un comportement juste peut être mal compris ou soupçonné, et un comportement pervers se parer des meilleures justifications. Ensuite et surtout, parce que les voies du mal croisent en permanence celles du bien.

Mais le midrash, plutôt que de s’attarder sur les dangers réels de la bonne conscience, préfère tourner nos regards vers Dieu. Dieu, qui se révèle aussi prévenant que juste, qui fait droit aux victimes de l’iniquité des hommes et qui ôte les occasions de méchanceté sur le passage des bons et des moins bons. Bonne nouvelle, notre Dieu n’est Juge que pour sauver !